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La répression seule ne peut suffire, a plaidé Félix Braz en ouverture de la conférence de haut-niveau consacrée à la réponse de la justice pénale à la radicalisation

Le 19 octobre 2015, ministres de la Justice, juges, procureurs, responsables pénitentiaires et autres experts se sont réunis à Bruxelles pour une conférence de haut-niveau consacrée à la réponse  de la justice pénale à la radicalisation. Cette conférence, organisée par la Commission européenne et la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE, visait à permettre un échange de vues sur les réponses à apporter au phénomène de la radicalisation, notamment dans les prisons.

Parmi les experts présents, nombreux étaient les membres du réseau de sensibilisation à la radicalisation (RSR), créé en 2011, qui relie des experts et praticiens du domaine de la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent dans toute l’Europe.

L’objectif de cette conférence était de discuter et d’échanger sur les solutions qui ont été testées avec succès, tant pour tenter d’arrêter ceux qui veulent rejoindre Daech, que pour agir face aux combattants qui reviennent d’Irak ou de Syrie, et pour lesquels il faut évaluer le risque qu’ils peuvent présenter pour la société, ainsi que l’a expliqué en ouverture Vera Jourova, commissaire en charge de la Justice. Comment réconcilier prison et dé-radicalisation, comment articuler prévention, répression et réhabilitation, comment détecter au mieux les premiers signes de radicalisation ? Telles étaient les questions qui devaient être débattues au fil de la journée.

"L’extrémisme violent attaque les fondements même de notre société démocratique"

Félix Braz"L’extrémisme violent attaque les fondements même de notre société démocratique", a souligné le ministre luxembourgeois de la Justice, Félix Braz, dans son introduction. Comme il l’a rappelé, la radicalisation, le terrorisme et les combattants étrangers ne sont pas des phénomènes nouveaux, mais c’est l’ampleur du phénomène et le contexte qui sont actuellement différents.

"La réponse qu’il convient d’apporter doit être ancrée dans les systèmes de justice pénale et respecter l’Etat de droit", a insisté le ministre lors de la conférence de presse qui a suivi la première session de la conférence.

Savoir comment "prévenir la radicalisation et l’extrémisme violent"  et "comment traiter les combattants étrangers" ont été des questions récurrentes à l’ordre du jour du Conseil Justice et Affaires intérieures, a rappelé le ministre qui préside actuellement cette formation du Conseil. La réhabilitation apparaît comme une priorité des ministres de la Justice, a indiqué Félix Braz à la presse.

Inclure l’objectif de la réhabilitation dans la réponse pénale, en explorant les options offertes par les différents systèmes judiciaires européens pour traiter les combattants étrangers, ceux qui reviennent, ainsi que les extrémistes religieux violents aux motivations terroristes, était un des objectifs de cette conférence dont les conclusions seront présentées au Conseil Justice et Affaires intérieures du mois de décembre.

"La radicalisation apparaît la plupart du temps comme une expression et une réaction de profonde résignation, de sentiment de rejet, (…) comme une rébellion contre les autorités perçues souvent comme injustes ou comme une quête d’identité, (…), une quête d’idéaux forts et de symboles de pouvoir défiant un monde en mal de figures d’identification crédibles et de valeurs éthiques", a expliqué Félix Braz.

Mais le ministre a aussi mis en garde contre tout amalgame : la conversion à une foi fondamentaliste ne conduit pas en soi au terrorisme, et la radicalisation n’est pas un crime, contrairement à l’extrémisme violent et au terrorisme. Félix Braz a donc souligné combien "les discussions sur la radicalisation doivent nous encourager à nous élever contre l’islamophobie" et plaidé la "tolérance zéro à l’égard du racisme, de la xénophobie, de l’antisémitisme et de la haine à l’égard des Musulmans".

"La répression sans prévention ne pourra apporter la réponse dont nous avons besoin"

"La répression seule ne peut suffire", a encore souligné le ministre en faisant référence à la longue expérience que connaît le continent européen en matière de terrorisme et de crime organisé. Une expérience dont le ministre estime que l’on peut tirer des leçons, notamment en ce qui concerne la prison en tant que lieu de radicalisation. Pour Félix Braz, l’enjeu de la conférence était bien d’évaluer si les peines sont appropriées et si des sanctions alternatives sont possibles et souhaitables. "La répression sans prévention ne pourra apporter la réponse dont nous avons besoin", a-t-il répété devant la presse.

Les prisons sont souvent présentées comme un terrain fertile pour la radicalisation et le terrorisme. Mais le ministre s’est interrogé sur la réalité complexe et variée qui se cache derrière ce lieu commun. Selon les experts, parmi les milliers de combattants étrangers partis dans des zones de conflit, une minorité s’est convertie à l’extrémisme violent pendant des périodes d’incarcération, a rapporté le ministre.

Les prisons ne sont pas juste une menace, mais peuvent apporter une contribution positive dans la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, a nuancé Félix Braz. "Elles peuvent servir d’incubateurs de changement pacifique", a détaillé le ministre devant la presse, en expliquant que la détention pouvait être le lieu où participer à des programmes de réhabilitation, ce qui permet aux détenus "d’être réinsérés dans la société à leur libération".

"Les prisonniers radicalisés comprennent une population très hétérogène de terroristes accomplis et de convertis inoffensifs, de fondamentalistes musulmans et de criminels de droits communs prêts à partir en Syrie, de combattants terroristes étrangers et de personnes revenues traumatisées», a décrit Félix Braz. Il a donc plaidé pour une terminologie plus différenciée, pour de meilleurs instruments d’évaluation des risques et pour des stratégies mieux adaptées.

"Nous devons réformer les prisons", a ensuite lancé Félix Braz, conscient que de mauvaises conditions d’incarcération, et notamment la surpopulation carcérale, peuvent amener des prisonniers vulnérables à suivre des discours radicalisés, tandis que le manque de personnel qualifié peut miner tous les efforts pour contrer la radicalisation.

Lutter contre la radicalisation doit faire partie d’une stratégie plus globale visant à lutter contre les causes du terrorisme, a argué le ministre en soulignant qu’une telle stratégie doit respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales. A ses yeux, l’emprisonnement est une mesure de dernier ressort.  "La prévention et la détection, les enquêtes et les jugements, la détention et les sanctions alternatives, la probation et la réhabilitation sont les domaines dans lesquels les autorités et les parties prenantes devraient coopérer", a plaidé le ministre.

Félix Braz a enfin mis l’accent sur le fait que la recherche académique et les méta-données doivent "consolider notre stratégie" et "renforcer la capacité des décideurs politiques et des praticiens à concevoir des programmes de lutte contre l’extrémisme violent" qui respectent les droits de l’homme.

Lors de leur déjeuner, les 18 ministres de la Justice présents pour cette conférence ont insisté sur le rôle de coordination que doit jouer la Commission, a rapporté Félix Braz devant la presse. La Commission devrait coordonner les échanges de bonnes pratiques entre Etats membres, compiler les résultats des recherches académiques menées dans les Etats membres, et enfin faciliter le dialogue avec les pays tiers sur ces questions.

La Commission devrait aussi approfondir le dialogue avec les fournisseurs d’accès à Internet, a souligné Félix Braz en référence aux discussions que les ministres ont eu lors du Conseil JAI du 9 octobre et suite au colloque annuel sur les droits fondamentaux qui s’est tenu le 1er octobre. Dimitris Avramopoulos, commissaire pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté,  avait annoncé plus tôt dans la matinée sa volonté de mettre en place d’ici la fin de l’année un forum internet avec les grands acteurs du secteur afin de renforcer la réponse collective de l'UE en matière de lutte contre la radicalisation en ligne. Interpellée par un journaliste sur la difficulté de garantir la liberté d’expression en donnant aux fournisseurs d’accès à Internet des responsabilités sur les discours diffusés, Vera Jourova expliqué qu’il s’agirait de leur donner des outils pour assumer cette responsabilité. Par exemple en donnant une définition claire de ce qui est considéré comme "un discours de haine" par la loi.

  • Mis à jour le 19-10-2015