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L’efficacité de l’aide au développement et son suivi au cœur de la seconde journée d’une conférence internationale à Luxembourg

ECA-DevelopmentAprès une première journée consacrée à l'avenir de l'aide au développement au-delà de 2015, les participants à la Conférence internationale sur la politique européenne d’aide au développement organisée par la Cour des comptes européenne, en collaboration avec la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne (UE), ont discuté le 21 octobre 2015 à Luxembourg de l’efficacité de l’aide au développement et de son suivi.

La Commission européenne adopte une approche orientée sur les résultats

Manfred Kraff, directeur général adjoint de la Direction générale du budget à la Commission européenne, est revenu sur l’initiative présentée en septembre 2015 par la vice-présidente de la Commission européenne et commissaire au Budget et aux Ressources humaines, Kristalina Georgieva, de "budget européen axé sur les résultats".

En matière d’aide au développement, Kristalina Georgieva entend, par cette initiative, faire une analyse de l’allocation des fonds pour l’aide au développement. Il s’agira plus particulièrement de se pencher sur les bénéficiaires, la façon dont l’aide est attribuée, son évaluation et sur la communication autour de ses résultats, a indiqué Manfred Kraff, ajoutant que cette initiative se fondera sur la valeur ajoutée européenne, les priorités, et le respect de la légalité.

"Pour atteindre tous ces objectifs, il faudra améliorer les contrôles sur les Etats membres et leur fiabilité", a encore indiqué Manfred Kraff, ajoutant qu’un groupe de travail interinstitutionnel (Commission, Parlement européen, Conseil et Cour des comptes européennes) était tout aussi nécessaire. "Nous voulons travailler avec toutes les institutions pour définir des recommandations pour le futur", a-t-il dit.

Manfred Kraff a rappelé que l’UE et les Etats membres étaient les plus gros donateurs en matière d’aide au développement au niveau mondial et que les fonds de l’UE étaient destinés à environ 150 pays à travers le monde, dont certains ont déjà pu parvenir à une croissance économique forte et une  réduction de la pauvreté.

En référence au rapport 2015 des Nations Unies sur les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), Manfred Kraff a indiqué qu’il avait pu mettre en lumière le fait que le nombre de personnes vivant dans une pauvreté extrême avait diminué de plus 50 % depuis 1990. "Nous pouvons donc conclure que l’aide au développement a un impact économique positif", a-t-il souligné.

En ce qui concerne le suivi de l’aide au développement, le conférencier a indiqué que la Commission utilisait le système de suivi axé sur les résultats ("results oriented monitoring system" - ROM), permettant de fournir un instantané de la mise en œuvre des interventions. Des analyses sur site sont réalisées et une méthodologie hautement structurée est appliqué, a-t-il poursuivi. En parallèle, la Commission, les délégations de l’UE et la Cour des comptes font un suivi et un contrôle des projets sur site, ce qui permet de réagir rapidement en cas de lacune, a-t-il encore dit.

Il faut davantage de données empiriques pour mesurer correctement l’efficacité de l’aide au développement

Ancien économiste en chef à la Banque mondiale et chaire émérite à la Paris School of Economics, François Bourguignon, a insisté sur la question de l’efficacité de l’aide au développement, souvent largement remise en cause dans les milieux académiques et la littérature scientifique. Cette question n’a d’ailleurs été soulevée que relativement tard, au milieu des années 1990, soit peu après la guerre froide, a relevé l’économiste. "Autrement dit, pendant toute une période, l’aide était dans une large mesure un instrument géopolitique", a-t-il dit.

Aujourd’hui, dans un contexte différent, la question de savoir par rapport à quoi mesurer l’efficacité de l’aide se pose toujours, a-t-il poursuivi. Pour certains, elle se mesure en termes de croissance, pour d’autres en termes de réduction de la pauvreté, d’amélioration de l’éducation, des infrastructures ou de la santé. "Il est évident que pour mesurer l’efficacité de l’aide, on a besoin d’instruments différents et de bien distinguer ce qui va à quoi", a ajouté François Bourguignon qui a noté la difficulté en la matière, l’utilisation de l’aide pouvant être modifiée par les pays destinataires. "Il y a une difficulté à voir la destination exacte de l’aide et évaluer son efficacité demanderait de la précision".

Selon l’économiste, les preuves de l’efficacité de l’aide peuvent être recherchées à deux niveaux, le premier étant le niveau micro-économique, c’est-à-dire l’étude des projets mêmes. Un exercice que François Bourguignon juge "compliqué" alors que la question se pose de savoir si l’agrégation de plusieurs projets efficaces donne un résultat positif au niveau macro-économique.  En outre, lorsque l’efficacité d’un projet est mesurée, l’on  "oublie souvent ses effets secondaires". Par exemple, "si un projet emploie localement des gens qualifiés pour de telles tâches, ces personnes ne sont plus disponibles pour réaliser des projets domestiques".

Quant au niveau macro-économique, François Bourguignon a souligné l’existence de très nombreuses études et d’une "multiplicité de résultats". "Certaines pointent un impact positif sur certains indicateurs, d’autres concluent à un effet peu significatif", a-t-il relevé, ce qui met en lumière dans cette littérature "une énorme difficulté à gérer la question de la causalité" et donc "une ambigüité considérable".

L’économiste est par ailleurs revenu sur les contraintes qui pèsent sur l’efficacité de l’aide, la première d’entre elles étant le caractère bilatéral de ces aides, octroyées d’Etat à Etat. "Si le but est de diminuer la pauvreté, il y a un intermédiaire entre le bailleur de fonds et la population pauvre visée qui est le gouvernement du pays bénéficiaire", a indiqué François Bourguignon, notant que si ce gouvernement n’a pas les meilleures intentions, il y a des fuites de l’aide.

Une autre contrainte porte sur la conditionnalité de l’aide. L’économiste la juge "très souvent non-crédible" de la part des bailleurs qui font face au "dilemme du bon Samaritain". En effet, si les résultats sont absents et que le bailleur doit décider d’arrêter l’aide ou non, souvent, la préoccupation envers la population pauvre l’emporte et l’aide est maintenue, a-t-il relevé. "C’est un problème majeur", a-t-il ajouté, soulignant que si le pays bénéficiaire anticipait ce comportement, il n’avait aucune raison de respecter les conditionnalités. Par ailleurs, il existe un problème de coordination entre les bailleurs de fonds, voire une certaine concurrence entre ceux-ci, a encore indiqué François Bourguignon.

Enfin, l’économiste a noté que le suivi des différents projets et leur évaluation est coûteux et nécessite donc l’allocation de ressources qui ne sont pourtant "pas toujours budgétées".

Selon François Bourguignon, ces différentes difficultés ont poussé les pays donateurs à mettre en avant l’importance de la gouvernance dans les pays bénéficiaires, celle-ci donnant une certaine confiance aux bailleurs de fonds sur l’utilisation de l’aide et sur l’absence de détournement. La gouvernance est d’ailleurs la composante dominante dans l’attribution de l’aide de la Banque mondiale, a-t-il dit, mais celle-ci est "mesurée d’une façon relativement floue".

Un problème majeur de cette tendance est que les pays "mal gouvernés" se voient octroyer moins, voire pas d’aide, alors que ce sont souvent ceux dans lesquels la pauvreté est la plus importante. Dès lors, la question se pose de savoir comment traiter ces Etats dits fragiles "et elle n’est pas résolue", a indiqué l’économiste.

Dans ce contexte, François Bourguignon a relevé une critique contre l’aide au développement, accusée par certains de contribuer négativement à la qualité de la gouvernance d’un pays. Selon ces thèses, les gouvernements bénéficiaires n’auraient plus besoin de s’appuyer sur leurs citoyens pour générer des ressources publiques et donc ces gouvernements ne sont pas redevables à leurs citoyens. "Selon cet argument, l’aide permet à des gouvernements peu soucieux du développement de leur population de maintenir leur emprise sur le pouvoir, via la corruption ou le clientélisme", a-t-il dit, soulignant l’absence de preuves empiriques pour l’étayer. Et de conclure sur le besoin de beaucoup plus d’éléments empiriques dans ce domaine où jusqu'à présent les approches ont été "trop grossières".

  • Mis à jour le 20-10-2015