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Conférence "Booster les entreprises sociales en Europe" – Selon Nicolas Schmit, il faut "faire du capital un instrument non pas en vue d’une rentabilité maximale mais au service du travail et dans l’intérêt de la société"

Le 3 décembre 2015, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie Sociale et Solidaire, Nicolas Schmit a ouvert à Luxembourg la conférence "Booster les entreprises sociales en Europe" organisée dans le cadre de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE.

La conférence, qui s’étale sur 2 jours, s’articule autour des questions suivantes : Comment créer de l’innovation sociale ? Comment intégrer systématiquement l’innovation sociale à la création d’activités économiques ? Quel écosystème pour favoriser l’accès au financement pour l’économie sociale et solidaire ? Comment mobiliser l’épargne individuelle pour des projets de l’économie sociale et solidaire ?

Nicolas Schmit à la conférence "Booster les entreprises sociales en Europe" à Luxembourg le 3 décembre 2015Dans son discours d’ouverture, Nicolas Schmit a souligné le "rôle de plus en plus important" que joue l’économie sociale et solidaire "en Europe et dans un nombre croissant de pays dans le monde". Elle rassemble selon lui "des femmes et des hommes guidés par l’idée de solidarité, souvent par simple nécessité, mais toujours par la profonde conviction que l’humain doit se trouver au centre de toute activité économique."

Pour le ministre, "nous sortons difficilement d’une crise financière économique, sociale et écologique provoquée précisément par le fait que ces valeurs ont été ignorées, voire bafouées". Il a évoqué "les conséquences néfastes" : près de 23 millions de chômeurs en Europe, une pauvreté qui n’a pas reculé mais qui a fortement augmenté, les inégalités sociales qui se creusent,  un chômage des jeunes qui produit dans certains pays "une génération perdue" et la pauvreté des enfants qui "va peser sur leur avenir". Son bilan : "L’Europe a longtemps été synonyme de progrès économique et de progrès social. Nous assistons aujourd’hui à une divergence économique et sociale grandissante, tant au sein des pays qu’entre eux. On a par trop oublié que le bien public le plus précieux c’est la cohésion sociale, un moteur pour une économie compétitive et innovatrice."

Pour lui, "il est donc plus que temps de réfléchir à d’autres modèles de développement, à d’autres façons d’entreprendre, à faire du capital un instrument non pas en vue d’une rentabilité maximale mais au service du travail et dans l’intérêt de la société".

C’est pourquoi la Présidence luxembourgeoise a fait de la promotion de l’Economie sociale et solidaire une de ses grandes priorités. Celle-ci "est une réalité bien établie en Europe et ailleurs", a-t-il constaté, avant de décliner quelques chiffres : 14 millions d’emplois dans l’UE, des centaines de milliers d’entreprises sociales, de coopératives, d’associations poursuivant une pluralité d’activités, mais aussi, a-t-il souligné, "liées par des principes communs, et partageant la même conviction que l’économique et le social, ne sont nullement antinomiques et que l’impact social ou environnemental vaut tous les cours de la bourse".

Nicolas Schmit a remercié ceux qui ont soutenu la Présidence dans sa démarche, dont le Parlement européen et son Intergroupe "Economie sociale", le Comité économique et social européen, "qui a élaboré, à notre demande, un avis sur le thème ‘Construire un écosystème financier pour promouvoir les entreprise sociales’", la Commission européenne, l’OCDE "dont le Rapport sur l’Investissement d’impact social enrichit notre réflexion et ouvre de nouvelles perspectives". Il a aussi remercié l’ULESS, l’Union luxembourgeoise des entreprises sociales, qui a aidé à la préparation de la conférence et à l’élaboration d’une nouvelle législation luxembourgeoise dont le ministre espère qu’elle pourra être adoptée en 2016.

Pour Nicolas Schmit, la conférence devrait conduire à donner une visibilité à l’économie sociale et solidaire, à "l’élaboration d’idées nouvelles, de concepts et d’approches innovateurs pour ‘booster l’entreprise sociale’". Pour lui, "le moment y est plus que favorable car nos sociétés et nos économies se trouvent dans un processus de mutations profondes : sociales, démographiques, technologiques, environnementales… Ce sont de nouveaux défis qu’il faut transformer en réelles opportunités." L’économie sociale et solidaire peut être selon lui "à la pointe de l’innovation sociale et de l’innovation tout court".

Il faut ainsi repenser l’Etat Providence, "certainement pas pour le démanteler, mais pour le moderniser et le faire bénéficier des approches innovatrices qui émanent de l’économie sociale et solidaire". Le ministre a appelé à réfléchir à la manière de réinsérer des personnes vulnérables comme les chômeurs de longue durée, les NEETS et les personnes handicapées, dans l’emploi, de les former, de les qualifier, de les requalifier, ainsi qu’à la manière d’intégrer les réfugiés dans les sociétés et économies de l’UE.

L’économie sociale et solidaire peut offrir des réponses, a estimé le ministre, mais à condition de disposer d’un cadre qui lui permette de se développer : "Ce cadre est local, il est national, il doit être européen et il ne faut plus négliger le volet international de ce développement."

Ce cadre a une dimension humaine qui "reste indispensable et cruciale", mais il faut "aussi et avant tout un écosystème financier qui lui permette de s’accélérer et de s’épanouir." Une grande partie de la conférence sera donc consacrée au financement de l’économie sociale et solidaire. "L’avis du Conseil économique et social européen nous fournit des pistes de réflexions aussi diverses qu’intéressantes", a enchaîné le ministre.

Il y a d’un côté "les financements publics qui restent incontournables", et qui sont pour lui des catalyseurs indispensables de l’innovation et du progrès technologique. Preuve en est que l’économie sociale et solidaire est mentionnée dans le plan d’investissement de la Commission "comme un secteur pouvant bénéficier de ces fonds". Il y a d’un autre côté le développement de la finance solidaire. D’autres moyens sont envisageables, vu les liquidités qui sont abondantes  à l’échelle européenne et internationale et qu’il faudrait "orienter vers des investissements, y compris dans l’économie sociale et solidaire", sans la dénaturer.

Nicolas Schmit a conclu en plaçant le débat dans un contexte plus large : "Le monde est aujourd’hui plus déchiré que jamais, les menaces sont considérables - nous l’avons appris de nouveau il y a un peu plus de deux semaines à Paris. Nous avons besoin de reconstruire une cohésion sociale, des solidarités concrètes chez nous mais aussi avec nos partenaires du sud, au Maghreb, en Afrique notamment. L’essor de l’àconomie sociale et solidaire en est un moteur. Nous pouvons aujourd’hui et demain rendre ce moteur plus puissant et cela sans pollution supplémentaire."

Le député européen Jens Nilsson, co-président de l’Intergroupe "Economie sociale", a salué les efforts de la Présidence luxembourgeoise en faveur de l’économie sociale qui fait, a-t-il souligné, l’objet d’un large consensus politique au Parlement européen. "C’est un secteur fiable qui crée de la stabilité", a-t-il expliqué, précisant qu’il réinvestit ses profits. La qualité de ses produits et services équivalent à ceux du secteur privé, et les prix presque identiques. Mais là où le secteur privé fait "le moins possible" pour atteindre ce résultat, le secteur social fait "le plus possible", a estimé l’eurodéputé suédois, notamment en ce qui concerne les services aux personnes. L’Intergroupe a abordé avec la commission parlementaire IMCO (marché intérieur et protection des consommateurs) la question des fenêtres que la législation européenne sur les marchés publics peut ouvrir aux entreprises sociales, tout comme le potentiel de l’Union bancaire pour le secteur, notamment en ce qui concerne les garanties des prêts à long terme. Dans ce cadre, les pratiques des Etats membres pourraient également montrer des pistes.

Georges Dassis, le président du Conseil économique et social européen (CESE), a d’abord évoqué le lent déclin, sur une trentaine d’années, des organisations chrétiennes, des mutuelles, des coopératives et d’autres organismes d’entraide. Mais avec la crise, les entreprises sociales ont fait preuve d’une "extrême adaptation" pour répondre aux nombreux nouveaux défis.

Entretemps, le CESE a investi beaucoup d’énergie dans la question, entre autres après avoir été consulté par la Présidence luxembourgeoise, de sorte que Georges Dassis estime que le CESE est devenue "le chef de file pour mettre la question de l’économie sociale et solidaire sur l’agenda européen". Selon lui, l’UE se trouve dans une "crise de confiance", les citoyens voyant que les gouvernements, au lieu d’être solidaires, prennent des décisions où "tout un chacun se referme sur soi" et que l’économie mise sur une productivité sans se préoccuper de l’être humain. Sans le projet "grandiose" de l’UE, estime Georges Dassis, les xénophobes et les racistes prendront le dessus et "les gens se dresseront les uns contre les autres". Dans une telle situation, l’économie solidaire, qui n’est pas basée sur la logique du profit, a selon lui un rôle important à jouer. L’UE serait donc bien avisée de la soutenir, car elle est proche du citoyen. Elle est un liant du tissu social en Europe et ne cherche pas à atteindre des "profits inconsidérés".     

  • Mis à jour le 03-12-2015