Justice et Affaires intérieures
Réunion ministérielle informelle

Conseil JAI informel – Les ministres de la Justice débattent de la défense des intérêts financiers de l’UE, du Parquet européen et de la protection des droits des enfants

Vera Jourova et Félix BrazLa réunion informelle des ministres de la Justice et Affaires intérieures s’est poursuivie le 10 juillet 2015 à Luxembourg avec le volet consacré aux questions de justice. Lors de la conférence de presse organisée à l’issue de la réunion, le ministre luxembourgeois de la Justice, Félix Braz, qui présidait la réunion, a résumé les travaux menés avec ses homologues. Les trois points à l’ordre du jour étaient la proposition de directive relative à la protection des intérêts financiers de l’UE (dite directive "PIF"), le Parquet européen et la révision du règlement dit "Bruxelles 2 bis".

L'inclusion de la TVA dans la directive "PIF" reste au cœur des discussions

Les ministres ont ainsi débuté leurs travaux en se consacrant à la proposition de directive relative à la protection des intérêts financiers de l’UE et ils se sont penchés plus particulièrement sur l’inclusion potentielle de la fraude à la TVA dans la législation révisée.

Pour mémoire, la Commission européenne avait en 2012 proposé de réviser le cadre juridique applicable à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. "Ce type de fraude constitue un grave problème préjudiciable au budget de l’Union", a insisté Félix Braz. Selon les estimations de la Commission, les cas de fraude présumée représentent quelque 600 millions d’euros perdus annuellement. Or, le sujet est "sensible" pour les citoyens de l’UE, surtout en temps de disette budgétaire, a dit le ministre, pour qui les institutions européennes " doivent réagir et trouver des solutions efficaces".

Félix Braz a rappelé que les négociations entre le Conseil et le Parlement européen étaient engagées. "Malheureusement aucun compromis n’a encore pu être trouvé à ce stade". Pour le ministre, ce blocage s’explique par des approches divergentes entre les colégislateurs quant à l’inclusion de la fraude à la TVA dans le champ d’application de la directive : "Si le Parlement et la Commission plaident pour une inclusion de la TVA, le Conseil s’y est opposé". Les Etats membres "sont d’avis que les recettes de la TVA restent principalement un enjeu national", a-t-il relevé.

Félix Braz a indiqué que le Parlement avait "clairement fait comprendre" qu’il considérait le dossier "momentanément bloqué". "Avec cette approche, le Parlement prend le risque d’entraîner d’autres blocages", notamment dans le dossier du Parquet européen, a dit le ministre, qui a rappelé que la compétence matérielle du Parquet européen est définie dans le projet de règlement en faisant référence à la directive PIF. Il a néanmoins estimé que le Conseil avait également "sa part de responsabilité".  

"La Présidence estime nécessaire de dépasser cette situation de blocage en œuvrant vers une solution acceptable pour toutes les parties", a poursuivi le ministre. Le débat a permis selon lui d’explorer les pistes possibles et de "clarifier, et surtout de nuancer" les positions de chacun. "J’en retiens surtout qu’un nombre de mes collègues sont prêts à explorer la possibilité d’accorder au Parquet européen la compétence pour les fraudes transfrontalières graves à la TVA, par exemple les fraudes de type carrousel", a souligné Félix Braz, notant cependant que ce qu’il faut entendre par fraude grave "reste à définir".

Les experts des Etats membres ont donc été chargés de poursuivre le travail avant que le sujet ne soit à nouveau évoqué lors du Conseil JAI d’octobre 2015. "C’est un pas important qui, j’espère, nous permettra de renouer le dialogue avec le Parlement européen", a-t-il conclu.

La commissaire européenne à la Justice, aux Consommateurs et à l’Egalité des genres, Věra Jourová, a souligné la nécessité de convaincre les Etats membres d’inclure la TVA dans la directive, tout en rappelant que les pertes dues aux fraudes à la TVA étaient de l’ordre de 18 milliards d’euros en 2014, soit autant que la contribution annuelle de la TVA au budget de l’UE. "Je reste ferme sur ce point : la TVA doit être incluse dans la directive", a insisté la commissaire.

Le Parquet européen, un projet phare en matière de coopération judiciaire pénale, selon Félix Braz

Le second sujet de la journée a été le projet de règlement portant création d’un Parquet européen que le ministre Braz considère comme "une priorité de la Présidence". Deux questions "actuellement encore ouvertes" ont été soumises aux ministres, à savoir la question de la nécessité d’une double autorisation judiciaire dans le cas d’enquêtes transfrontalières ainsi que celle relative au contrôle juridictionnel des actes du Parquet européen par la Cour de Justice de l’UE (CJUE).

Pour ce qui est des enquêtes transfrontalières – dans le cas où une enquête est en cours dans un Etat membre et que des mesures d’enquête doivent être exécutées dans un autre Etat membre –"la question essentielle est de savoir si on est prêt à accepter qu’une mesure d’enquête transfrontalière puisse être ordonnée et exécutée sans double autorisation dans un esprit de confiance mutuelle", a dit le ministre. L’objectif : avoir un Parquet européen "rapide et efficace" qui permette aux magistrats nationaux "de travailler ensemble en se faisant mutuellement confiance".

La Présidence conseille donc une approche basée sur une seule autorisation judiciaire par mesure d’enquête transfrontalière en principe. "J’ai pu constater qu’une majorité de ministres partage l’approche de la Présidence", a ajouté le ministre.

Au sujet du contrôle juridictionnel des actes du Parquet européen, la question soulevée est celle du droit à un recours effectif, tel que le prévoient notamment la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’Homme. "Il en va des droits fondamentaux des citoyens", a dit Félix Braz qui a souligné que les ministres avaient "du mal à concevoir que la CJUE soit privée de sa compétence pour connaître des recours en annulation ainsi que des renvois préjudiciels en appréciation de la validité des actes de procédures pris par le Parquet européen.

Le ministre Braz a donc indiqué avoir soumis à ses pairs une option selon laquelle la compétence de la CJUE serait étendue à ces deux domaines "pour un nombre limité d’actes de procédures clairement identifiés". "La Présidence a pu constater qu’une vaste majorité de délégations nous suit dans cette direction", a-t-il conclut sur ce point.

L’intérêt supérieur de l’enfant doit être au centre du règlement dit "Bruxelles 2bis"

Photo de familleEn dernier lieu, les ministres ont discuté de la modification du règlement dit "Bruxelles 2bis" (relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale), et plus particulièrement des questions liées à la protection des enfants.

Ce règlement "constitue la pierre angulaire dans la coopération judiciaire en matière de droit de la famille de l’Union", a rappelé le ministre. Il a souligné que le nombre de familles transnationales avait été multiplié du fait de la mobilité croissante des citoyens de l’UE. De plus, le règlement vient compléter la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects de l’enlèvement international d’enfants en mettant en place une procédure de retour de l’enfant à sa résidence habituelle, a encore précisé Félix Braz. Il a ajouté que la Commission européenne était en train de préparer une révision de texte modifiant le règlement, resté inchangé depuis 2005, qui s’articulera autour de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, en application "directe et concrète" de la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Si, au cours de la réunion, les Etats membres se sont accordés pour dire que l’utilité du règlement ainsi que sa plus-value ne sont pas remises en question, les ministres ont néanmoins souligné le "besoin réel  de compléter le règlement dans le but de renforcer la protection des enfants", a indiqué Félix Braz. Ainsi, il est essentiel d’assurer une sécurité juridique et une reconnaissance des droits dans la coopération judiciaire en droit de la famille. En cas de séparation familiale, une coopération s’avère particulièrement nécessaire pour offrir aux enfants un environnement juridique sûr leur permettant de maintenir des relations avec les personnes investies de la responsabilité parentale, a encore souligné Félix Braz. La révision s’attachera également à garantir le retour rapide et efficace des enfants en cas d’enlèvement, a-t-il précisé.

La commissaire Jourová a pour sa part souligné que la révision de ce règlement était d’autant plus nécessaire que 16 millions d’Européens ont déjà contracté des mariages transfrontaliers. "Nous devons placer la protection de l’enfant au centre de notre attention", a-t-elle ajouté.

  • Mis à jour le 10-07-2015